La Twictée

Yves KHORDOC est un enseignant en classe de 6ème (niveau CM2) à Bruxelles. Avec cet article et la vidéo éclairante qui l’illustre, il nous décrit son expérience de twictonaute.

Dans le monde de l’éducation, on commence à entendre parler de la Twictée. Pour certains, il s’agit d’une mode et pour d’autres, d’un moyen pour utiliser les tablettes en classe. Même s’il y a un peu des deux, la Twictée, c’est bien plus que ça ! Après une année à l’expérimenter, j’en suis convaincu : le dispositif dédramatise la dictée à l’École et permet aux élèves de donner véritablement du sens à la relecture orthographique.

La Twictée (avec une majuscule puisqu’il s’agit du dispositif), c’est un « dispositif collaboratif d’enseignement et d’apprentissage de l’orthographe utilisant principalement Twitter.« 1 Beaucoup d’articles la présentent. Je vais me contenter d’expliquer son fonctionnement dans ma classe.

Tout d’abord, il est impératif de se créer deux comptes twitter : le premier, personnel, permettra de prendre contact avec les autres professeurs. Il est important aussi de suivre le compte de @TwictéeOfficiel qui nous renseigne sur les dates importantes, les infos, les cartographies, … Le second est le compte de la classe qui n’est utilisé que lors d’activités de classe. Ainsi, les élèves ne peuvent y accéder à la maison et seul le prof dispose du mot de passe. Voilà déjà un excellent moyen pour éduquer nos élèves aux réseaux sociaux ! Nous établissons par exemple ensemble une charte d’utilisation2.

Ensuite, l’enseignant se rend sur le site www.twictee.org afin de compléter plusieurs documents. Le premier nous renseigne pour l’année. Il n’est à compléter qu’une seule fois. Les organisateurs, appelés « les plombiers », nous désignent une « team » afin de correspondre avec des enfants du même âge. Sur l’année, plusieurs twictées sont proposées. Ainsi, il faudra indiquer sa participation à chaque phase de préparation. S’en suit une collaboration entre les profs de la team afin de valider une phrase de 140 caractères et y injecter les notions que l’on souhaite aborder. Tout se fait via un espace de travail collaboratif en ligne, tels que Google Doc ou One note.

De retour à l’école, les élèves sont informés qu’une Twictée commence par des affiches présentant le thème et les classes qui échangeront avec la nôtre. Une cartographie permettra à mes élèves de situer ces classes. L’occasion est donnée pour un petit cours de géographie ou des recherches supplémentaires. La Twictée, c’est aussi créer des liens entre les cours, échanger, communiquer avec des classes francophones du monde entier. L’écrit prend donc bien tout son sens!

Je commence par dicter la phrase afin que chaque élève la retranscrive de manière individuelle. Puis, les élèves en groupes doivent se mettre d’accord sur son orthographe en essayant d’utiliser le moins possible les outils de références. La phrase négociée sera écrite sur l’espace de travail en ligne. Ce document est privé et permet au professeur d’une autre classe (appelée alors ma classe miroir) de prendre mes 8 phrases négociées afin de les corriger. Je vais en faire de même avec une autre classe (appelée alors ma classe scribe). Le texte est ensuite corrigé collectivement et nous anticipons les erreurs de notre classe scribe.

Quelques jours plus tard, nous entamons la phase la plus riche du dispositif : l’écriture des twoutils. Il faut compter au minimum 2 à 3 périodes3. Le twoutil, c’est un message sur twitter de 140 caractères qui explique au groupe de la classe SCRIBE les erreurs à corriger. Chaque erreur est catégorisée en balises, classées en 3 grandes familles: l’orthographe d’usage, l’orthographe grammaticale et la structure. Ainsi, nous aurons le plus souvent à placer la balise #AccordSV pour indiquer un accord manquant entre le sujet et le verbe ou encore #AccordGN pour les accord 😱 du groupe nominal.

ACCORD s’écrit avec un -S car le déterminant « les » lui donne son accord pluriel. #AccordGN

Ce jeu des balises permet véritablement à mes élèves d’être efficaces dans la justification de la correction. Lors de notre première Twictée, mes élèves manquaient de précision (alors qu’ils étaient habitués à la traditionnelle dictée depuis 5 ans !) et indiquaient simplement: « Le verbe s’accorde avec le sujet ». Aujourd’hui, ils indiquent de quel verbe il s’agit et précisent le sujet. Il en va de même pour l’étymologie des mots (#Etymo): nous recherchons tous ensemble d’où provient le mot et pourquoi il a cette orthographe d’usage. Vous l’aurez compris: même le prof apprend ! 

Je suis persuadé qu’en me lisant, vous allez vous dire que vous faites déjà tout cela en classe. Je le faisais aussi ! Mais les élèves ne donnaient pas de sens à leur correction et se contentaient bien souvent d’écrire une règle sans la comprendre. La distinction de l’orthographe d’usage ou grammaticale restait floue. Il n’y avait aucun transfert effectué dans une autre séquence d’orthographe. La Twictée a changé tout cela ! Après notre première expérience, j’ai très vite été surpris d’entendre mes élèves utiliser les balises dans d’autres contextes ou être plus précis dans leurs justifications.

Il existe plusieurs manières pour cette phase de rédaction de twoutils.

J’ai commencé tout simplement : mon groupe 1 corrige le texte du groupe 1 de notre classe scribe et écrit autant de twoutils qu’il y a d’erreurs. Les élèves passent donc par la phase de repérage des erreurs, du choix de la balise à employer et de la rédaction d’un twoutil par erreur.  Cette manière me convient parce qu’elle implique chaque élève mais elle n’est pas équitable car certains groupes n’auront que 2 ou 3 twoutils à écrire, tandis que d’autres devront en écrire une dizaine. Le professeur sera aussi beaucoup plus sollicité. Chaque élève écrit d’abord le twoutil sur sa feuille de cours, puis, à tour de rôle, un élève le retranscrit sur la tablette. A chaque fois, le professeur valide ou non l’envoi du twoutil.

L’autre méthode consiste à relever collectivement toutes les erreurs au tableau des 8 textes envoyés, puis de les distribuer à mes 8 groupes. On peut même envisager de les collecter par balise. Ainsi, par exemple, le groupe 1 compose tous les twoutils relatifs aux accords dans le groupe nominal (#AccordGN) tandis que le groupe 2 rédige les twoutils relatifs aux homophones (#homophone). Cette méthode est généralement appliquée quand je repère, au préalable, beaucoup d’erreurs. Il est évident qu’il est impératif pour le professeur d’anticiper toutes les erreurs au préalable afin d’aiguiller les élèves le plus précisément possible.

il ne faut pas voir la Twictée comme une simple dictée sur twitter ou un effet de mode

 

En conclusion, il ne faut pas voir la Twictée comme une simple dictée sur twitter ou un effet de mode. Non, comme je le disais, c’est bien plus que ça ! Le dispositif, créé par Fabian Hobart avec l’aide de Régis Forgione et de Bruno Mallet, est une vraie richesse, tant au niveau orthographique que sur le plan humain. Alors que nous naviguons sur les réseaux sociaux qui sont tant décriés pour amoindrir nos relations, il est question avant tout d’échanger et de correspondre ! Ainsi, tout au long de cette première année, ma classe – @cestla56 – a pu correspondre avec des élèves francophones du Canada, de France ou encore de Belgique. De ces échanges ont germé d’autres projets tels que la semaine de la Francophonie (merci à @Paola__edu et @lonnyJ ), la phrase du jour (merci à @classevinciane1 ), l’envoi de dessins symétriques (@cm2A_calgary) ) ou tout simplement les échanges avec les autres twittclasses!

Retrouvez Yves KHORDOC et cet article dans sa version originale sur le site de Yves : http://leprof.be/

 

1 https://archives.twictee.org/glossaire/

2 Des exemples de Chartes d’utilisation de Twitter en classe dans le #FabLab Twictée

3 En Belgique une période est une « séance d’apprentissage » d’une cinquantaine de minutes.