Je veux vous présenter aujourd’hui la façon dont j’ai adapté le dispositif #twictée dans ma classe en ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique).

J’avoue. Pour moi, l’exercice de la dictée est inutile et angoissant. Ceux qui maîtrisent les difficultés les maîtrisent, et les autres non.
Mais ceci n’est ni une évaluation sommative (dictée préparée) ni une évaluation formative (dictée négociée). C’est un support court (140 caractères) qui invite à échanger et à se confronter à soi-même, en ayant du début à la fin le soucis surtout d’aider les autres. On les conseille, on les outille et on est aidé en retour.
D’abord, donc, rendre à l’orthographe sa véritable fonction : quand on décidé de la fixer c’était pour établir un code commun, pour faciliter les communications entre ceux qui écrivaient, même s’ils étaient peu nombreux. [1]

 

« Mais pourquoi tu t’agites ?? »
Se confronter régulièrement à cet exercice court (fondu dans une masse de productions d’écrits courtes : les #twoutils), c’est aussi se demander comment mieux gérer un moment aussi difficile.

Je travaille en ITEP. Mes élèves sont troublés par leurs angoisses et leur rapport au corps et aux autres, en particulier dans les situations d’apprentissage. Je les vois en moyenne une fois par jour, les groupes (de 2 à 6 élèves) changent à chaque séance. Donc chaque #twictée est faite plusieurs fois. Un groupe égal une séance.

Ah oui, mais c’est quoi une #twictée ? Ben, c’est une dictée sur twitter !

(Alors pour plein d’infos, une seule obligation : )

Pour faire simple, une phase, c’est trois classes partenaires. Nous réfléchissons en groupe aux textes qui seront envoyés à une classe pour retours correctifs, pendant que la troisième classe nous enverra ses textes pour que nous les aidions à les corriger.

 

Nous nous sommes engagés dans ce dispositif l’année dernière. Qu’est-ce que j’en retire ?

La dictée, ça stresse.

C’est le moment où mes élèves, grands, petits, timides ou &£%@ s’agitent comme jamais je ne les vois s’agiter par ailleurs. Une feuille et un stylo, c’est LE dispositif angoissant par excellence. C’est d’ailleurs pour ça que je tiens à donner une place si importante à la #twictée dans ma classe. Ils sont là pour ça, pour travailler le stress et les angoisses, après tout.

Il faut laisser une trace. Confrontés au vide intersidéral de leur propre pensée et à leurs connaissances dans lesquelles ils n’ont aucune confiance.

stress

L’étape est difficile à franchir. Un élève sort parfois faire un tour. Mine de rien, ça me donne des indications très importantes.

 

La maîtrise de la langue ne peut se conquérir qu’à travers une pratique assidue, et le recul réflexif qui la sous-tend ne peut s’acquérir que par un entraînement quotidien. [2]

 

Ce qui est bien avec le dispositif #twictée, c’est qu’on n’est absolument pas seul. Ni dans le monde, ni entre profs, ni dans la classe.

 

Une démarche en 4 séances

(Et pour les curieux qui veulent savoir comment on fait dans une classe ordinaire : Phases Twictée)

geotwit

En premier lieu, un peu de géographie. Nos correspondants sont pour la plupart en France, et pour certains un peu partout dans le monde.

 

1. Anticiper ses difficultés et celles des autres : le #twoutil prédictif

Nous y voilà. Dans cette première phase, pas de dictée. On se prépare.

En fonction des objectifs personnels de chaque élève, je leur sélectionne un morceau de la #twictée. Avec l’aide de leur outil-grammaire, ils relèvent l’élément qui leur pose problème en ce moment, la difficulté qu’ils sont en train d’apprendre à maîtriser.

Une fois l’écueil repéré, les élèves entrent dans une phase réflexive à but social : la rédaction d’un #twoutil prédictif. Il va falloir écrire sur twitter un conseil grammatical adressé à tous les participants. Conseil concis, donc, puisque avec 140 caractères.

Deuxième étape de la séance : on sort le cahier de vocabulaire. Dans le texte de la #twictée, j’ai repéré quelques mots (souvent 5). On les lit, on les écrit, sur le papier, l’ardoise et dans le vide, les yeux ouverts, les yeux fermés, on les épelle, on compte les lettres. On se demande, aussi, comment on les écrirait si c’était un pluriel. On les range avec leurs amis (p@reils ?) dans les listes analogiques. Une bonne chose de faite.

2. Face au stress d’un exercice formel : la #twictée

D’abord une reprise rapide des mots mémorisés (« Comment écrit-on ? ») . Et puis j’introduis à nouveau les points de vigilance (qui sont les apprentissages en cours) : « A quoi dois-je faire attention ? » Et nous voilà arrivés à la #Twictée. Oui, mais on n’y va pas sans aide et sans supports. Qu’est-ce qui peut m’aider à surmonter tout ça ? Alors bien sûr, j’ai des outils pour m’aider à disposition sur la table : l’Outil-grammaire, le cahier de vocabulaire (même si un objectif peut être de s’en passer, c’est même souvent un challenge que s’auto-attribuent les élèves). Et puis on prépare le support. Certains peuvent avoir repéré le nombre de mots à écrire. Et noté déjà les mots mémorisés à la bonne place, ou anticipé certaines chaînes d’accord. twictée 8

Le jeu des questions

La #twictée ne s’arrête surtout pas ici. Les textes des élèves vont être discutés.

Bien souvent l’enseignant ne se doute pas de ce que les enfants ont réellement dans la tête. [3]

 

Deux cas de figure : soit je récupère les feuilles et je pose des questions (« tu as écrit… et toi… »), soit un élève volontaire a écrit (caché) au tableau et alors on discute à partir de son texte (« il a écrit.. et vous… »). Toute différence est vérifiée. La discussion ne s’achève que lorsque la graphie du texte est correcte. Cette mise en commun me permet de mettre en avant des difficultés déjà rencontrées, des techniques déjà outillées, des mots qui ne se prononcent pas comme prévu. A ce stade, je ne corrige pas, j’induis la réflexion du groupe. Et là, on est confrontés au choix quand on a trois propositions et aucune façon de se départager. On est confrontés aussi à l’arbitraire « ça s’écrit comme ça, je le sais, mais je ne sais pas pourquoi ».

Cette confrontation est un levier des plus efficaces pour l’appropriation des notions enseignées, car elle provoque des réajustements cognitifs chez les élèves. [4]

 

 

Dictée de groupe

Ensuite on recommence : un élève dicte et les autres rédigent un texte ensemble (pour rappel, 3-5 élèves pas séance). Ce sera notre dictée de groupe.

3. Aider les autres : le #twoutil

Je ne donne pas les #twictées de groupe (les textes envoyés par la classe partenaire) à mes élèves. En amont, je compile les erreurs des #twictées de la classe scribe, et je recrée des textes fictifs. Ainsi, pour des élèves qui n’ont ni le même âge ni le même niveau (7-12 ans, CP-5e, mais pas toujours l’âge en rapport avec le niveau), je maîtrise, pour chaque groupe, la difficulté des notions qui seront abordées dans les #twoutils et le nombre d’erreurs par texte. Normalement, aucune erreur n’est oubliée. Chaque élève dispose de deux feuilles. L’une pour la #twictée de groupe et l’autre pour le texte sans erreur. Deux mises en page différentes, pour favoriser l’attention et la concentration. Les élèves sont amenés à développer leur concentration par la comparaison mot à mot (lettre à lettre) pour repérer les erreurs. Une fois les mots erronés repérés, on se demande ce que l’on pourrait dire pour aider les élèves à ne pas faire l’erreur.

Mais tout se construit, y compris l’idée que posséder seul l’orthographe n’a vraiment pas de sens, pas de sens commun… et qu’il vaut mieux partager. Surtout qu’en cours de route on s’est aperçu que souvent on ne savait pas dire pourquoi on écrivait ainsi. Coup de chance ? Autant passer ensemble du bazar à la maîtrise du savoir. [5]

 

Outre l’intérêt grammatical, écrire des #twoutils, c’est aussi écrire deux fois un court texte dans la même séance. Une fois à la main et une fois au clavier. On travaille le changement de plan (tableau/feuille et feuille/écran-clavier) et la coopération (un élève dicte pour un autre qui écrit sur l’ordinateur).


 

 

4. Et pour s’entraîner : la dictée transfert #Ofaute

Dernière phase : on refait la #twictée et on calcule le pourcentage de réussite. Cela donne lieu à la délivrance d’un diplôme. Pourquoi ? Parce que les élèves adorent !

 

Pierre Lignée
@drumoly

Article originellement publié sur son blog : http://prof.drumoly.fr


[1]

Jeanne DION et Marie SERPEREAU, Faire réussir les élèves en français de l’école au collège, p.113

[2]

Renée Léon, Enseigner la grammaire et le vocabulaire à l’école, p.103

[3]

Jeanne DION et Marie SERPEREAU, Faire réussir les élèves en français de l’école au collège, p.115

[4]

Catherine BRISSAUD et Danièle COGIS, Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ?, p.29

[5]

Jeanne DION et Marie SERPEREAU, Faire réussir les élèves en français de l’école au collège, p.115