Enseignante en Ce1/Ce2, dans une école rurale, j’ai eu la chance de démarrer le dispositif Twictée en septembre 2014. Aujourd’hui, à la veille de la Twictée XVI, je peux dire que mes élèves de Ce2 ont l’expérience d’une dizaine de twictées.

Cette constance dans la durée, m’autorise un petit bilan qualitatif sur ce nouvel outil d’enseignement/apprentissage de l’orthographe, récemment primée aux journées de l’innovation 2016.
Conçu par Fabien Hobart et Régis Forgione, qui en sont les papas, la twictée se veut d’abord un espace en ligne de mutualisation, de partage et d’apprentissage collaboratif horizontal. C’est le cas pour les enseignants, réunis du CP au lycée en passant par les classes de l’ASH. C’est le cas pour chaque élève d’une classe inscrite, qui devient une pièce d’un puzzle géant de la carte des espaces francophones.
Je ne reviens pas ici sur comment fonctionne la twictée.

Je voudrais parler de l’enthousiasme de mes élèves quand il s’agit de s’auto évaluer entre les phases initiales et finales de la twictée. L’apprentissage de l’orthographe, l’accès aux concepts grammaticaux sont des temps très longs dans la scolarité d’un enfant francophone.
C’est souvent pendant l’écriture des twoutils que mes élèves se sentent soudain compétents… ce moment quasi magique où la répétition prend sens et où les brouillards se lèvent.
Dans ma classe, les élèves ont entre 7 et 9 ans. Qu’il est compliqué de comprendre les accords au cœur du groupe nominal ou les accords sujet/verbe à cet âge là… Les concepts de genre et de nombre sont à peine stabilisés. La différence entre un nom et un verbe est à construire totalement, car elle reste de l’ordre de l’intuition, de l’indicible encore.
C’est pourtant là bien-sûr que se porte toute mon attention d’enseignante.
Dans la twictée, il existe des balises rassurantes (#majuscule, #ponctuation, #motmanquant, #usage ) accessibles à tout élève attentif dès 6 ans, car ce type d’erreur « se voit ».
Il existe également des balises qui nécessitent de prendre un peu de recul sur les mots lus ou écrits, alors que la conscience graphophonologique n’est pas tout à fait stabilisée (#lettreson, #segmentation, #usage).

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Cela permet une réflexion sur les différences entre langue écrite et langue orale.
Et puis, d’autres élèves accèdent à des balises plus expertes, comme #accordGN, #accordSV, #motdérivé qui demandent une vraie conscience pré réflexive pendant l’écriture.
Ce passage d’une orthographe lexicale à une orthographe grammaticale demande du temps.
Il faut une bonne dizaine de twictées pour dépasser l’impression vague de progrès et mesurer de réels effets dans sa classe.
J’ai eu la chance, pendant ces deux dernières années, de voir cette appropriation de ces compétences par mes élèves aujourd’hui en CE2. Enfin, ce qui m’intéresse le plus, c’est leur sentiment de compétence acquise grâce à la twictée

Cette classe fonctionne en classe coopérative. Mes élèves produisent beaucoup d’écrits divers (textes libres, compte rendus, articles pour l’ENT, devinettes) et nous avons souvent recours à des toilettages de texte pour apprendre ensemble à mettre au propre un écrit avant de le diffuser.
Ces corrections portaient souvent sur le fond du texte : sens de l’écrit, longueur des phrases, précision des mots employés, éviction des répétitions et enrichissement du vocabulaire.
Le fait de travailler sur les erreurs était déjà acté dans ma classe et l’écriture ou la réception de twoutils n’a pas modifié leurs représentations sur leurs productions.
Le fait de travailler par groupes n’a pas été une nouveauté non plus, mais ce dispositif a permis de renforcer des habitudes de travail déjà ancrées.CaroleGG

Ce qu’a apporté la twictée dans ma classe, c’est le recours spontané et quasi systématique des élèves aux balises pour corriger les erreurs d’orthographe grammaticale. L’analyse des erreurs dans des textes bien plus longs que 140 caractères est plus fouillée et la correction collective est bien plus rapide que les années précédentes.
J’apprécie énormément de pouvoir travailler avec les outils numériques sans rien forcer. L’utilisation de Twitter comme une fenêtre sur le monde est vraiment remarquable. L’habitude prise de stocker les textes non corrigés sur un cloud car ce ne sont pas des ressources encore publiables nous a fait réfléchir sur les conditions de la publication sur le web.
En effet, la twictée, favorise un enseignement en pédagogie de projet selon les objectifs prioritaires choisis par l’enseignant ou découverts par les élèves, car il s’agit d’un enseignement en contexte, dans la complexité de la vie réelle.
Grâce aux cartographies et à l’usage de google maps ou géoportail, nous avons souvent découvert des espaces et des modes de vies différents : la Martinique, le Québec, l’Est de la France, les écoles de montagne et de bord de mer… Ces voyages sur la vie ailleurs et dans des fuseaux horaires différents parfois, ont permis aux enfants de se projeter. Une enfant en vacances a même photographié la mascotte de notre classe devant le panneau d’une ville avec laquelle nous avions effectué un twictée.

Que dire enfin, au plan personnel et professionnel des découvertes que j’ai pu faire grâce à mes collègues de la Twictée ? Mon potentiel créatif a explosé, j’ai appris à utiliser ma tablette tactile grâce à des logiciels de conception numérique, d’enregistrement vocal ou vidéo. Grâce au contexte de la twictée, j’ai rencontré des enseignants motivés, téméraires, dans un cadre très bienveillant.
Grâce à la twictée, je vois que mon idéal de classe coopérative existe dans la salle de profs virtuelle qu’est ma Tweet Liste. J’ai l’impression d’une harmonie entre mes habitus pédagogiques ancrés dans les pédagogies actives et la nécessité d’accompagner mes élèves dans un nouvel univers tant virtuel que réel.

Carole Gomez-Gauthié

Directrice de l’école de Sauzet 46140
Enseignante en Ce1-Ce2